Vidéosurveillance (ou vidéo-tranquillité), c’est un des axes de la municipalité pour faire diminuer la délinquance, les dégradations, ou les incivilités au sein de la commune. Mais est-ce vraiment efficace ?
Depuis 2008, Élancourt est doté d’un système de vidéo-surveillance, comprenant aujourd’hui 110 caméras (1), qui enregistre 24h/24 les faits et gestes qui sont dans leur champ de vision. Le maire se vante d’avoir diminué de 30% la délinquance en 10 ans (2), mais ne publie jamais aucun chiffre. Si on en croit les chiffres officiels (3)(4), rien n’est moins sûr. Pour améliorer l’efficacité du système, la mairie a signé en Septembre 2019 un contrat avec la société canadienne Genetec (5), qui propose des logiciels et services autour de la vidéo surveillance, du contrôle d’accès et du contrôle à distance de bâtiments municipaux.
La société Genetec est spécialisée dans le marché de la vidéosurveillance, pèse aujourd’hui plus de 4 milliards de dollars, et est en position dominante en Amérique du nord (18% des part de marché mi-2019). En fait, la société vend essentiellement des logiciels pour la vidéosurveillance, et apporte des services supplémentaires : « Du contrôle d’accès, de la vidéosurveillance et de la reconnaissance de plaques d’immatriculation jusqu’aux communications, à la détection d’intrusions et aux analyses, [le logiciel] Security Center offre à votre entreprise une meilleure connaissance de l’état de la situation, une commande et un contrôle unifiés et la connectivité avec le Cloud. »
On peut lire sur leur site (6), à propos de la mise en place des caméras dans le centre médical universitaire d’Utrech (Hollande) : « Le cadre hospitalier accueillant tout type de personnes, y compris celles pouvant être violentes, Omnicast a contribué à promouvoir un sentiment de sécurité pour les patients et le personnel de l’UMC Utrecht. » “Nous examinons minutieusement nos caméras, et Omnicast nous offre les outils pour réagir rapidement. Nos patients remarquent cette réponse efficace et se sentent ainsi plus en sécurité dans notre hôpital”, déclare M. Van Wandelen, Conseiller sécurité à l’UMC Utrecht.
Un sentiment de tranquillité qui a un prix
Donc, à part un sentiment de tranquillité pour certains citoyens, on comprend vite que cela ne va pas permettre d’augmenter l’arrestation des délinquants, mais gérer les accès aux bâtiments (via des badges électroniques), gérer les lumières à distances (il semble que cela soit essentiel), et surtout contrôler la voierie (stationnement interdit ou gênant, la reconnaissance de plaques d’immatriculation, la verbalisation à distance, etc…). Comme le montre l’étude de Laurent Mucchielli (Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de la vidéosurveillance, Armand Colin (7)(8)), le nombre d’affaires directement résolues par la vidéo est presque nul, mais parfois cela permet d’apporter un élément qui aide l’enquête et sa résolution. Pas sûr que cela vaille le coup, à la vue du budget consacré à la mise en place, l’exploitation et l’entretien d’un réseau de caméras.
Mais à Élancourt, le budget consacré à la vidéo-tranquillité (c’est le terme choisi maintenant) est important. Les budgets consacrés à la police municipale et le matériel afférant à la sécurité se chiffrent à 1,23 million d’euros en 2017. De plus, des contrats sont signés par la commune pour l’achat de matériel et son entretien. À titre d’exemple, 142 000 euros ont été dépensés pour l’achat de 5 caméras ! En outre, on peut souligner que lors de leur installation dans les quartiers, il faut aussi les raccorder, engendrant ainsi beaucoup de travaux, comme la pose de câbles ou l’installation d’un mât. En décembre 2017, le maire annonçait la mise en place de caméras piéton pour les policiers municipaux, depuis, aucune communication sur les tests et leurs résultats, pourtant promis dans cet article de actu.fr (9). De plus, on teste et installe de nouvelles technologies (comme la reconnaissance des plaques numérologiques), sans concertation préalable avec les usagers, ni information affichée sur place aux endroits concernés (10). Mais c’est aussi un programme départemental, la ville n’est pas seule dans cette démarche (11).
Pour aller plus loin, nous avons épluché les comptes rendus des conseils municipaux entre 2014 et 2020, et on y trouve tout cela :
- CM 08/04/2014 : achat de 5 caméras pour 142k€;
- CM 25/09/2015 : achat d’un logiciel de vidéosurveillance pour 14,5k€;
- CM 20/05/2016 : maintenance de la vidéosurveillance pour 49k€/an;
- CM 23/03/2018 : installation de vidéosurveillance à 209k€ pour 4 ans et achat de caméras à 200k€/an sur 3 ans;
- CM 17/05/2018 : convention de mise à disposition du flux vidéo à la préfecture, justifiée par la Ryder Cup;
- CM 27/09/2019 : marché 2019/16 avec Bouygues Energies Service pour l’installation d’un système de vidéosurveillance et marché 2019/25 avec Bouygues Energies Service pour un réseau privé vidéo pour 800k€ /an;
- CM 12/06/2020 : contrôle des accès des bâtiments pour 700k€ /an
Le nombre de caméras diffère selon les quartiers
Donc, il semble qu’il y a des caméras un peu partout. Mais où sont-elles implantées, et dans quels quartiers ? Et y en a-t-il plus à certains endroits qu’à d’autres ? Nous avons une partie de la réponse : Tous les quartiers ne sont pas traités à la même enseigne, par exemple aux Petits Près, nous n’avons identifié que 3 caméras, malgré nos recherches, mais elles sont sûrement bien cachées. Par contre, il y en a beaucoup plus autour de la mairie et aux 7 Mares (bien moins cachées), ce qui n’est pas aberrant en soit puisque c’est un des endroits le plus fréquenté de la ville. Mais cela pose question sur le traitement réservé à certaines zones, car il est du devoir des mairies de traiter tout le monde sur un pied d’égalité. Si la politique de la ville est de protéger, alors les dispositifs mis en place se doivent d’être égaux en fonction du nombre d’habitants, de la surface couverte et du nombre de logements. Cela devrait également être en adéquation avec la situation de chaque quartier.
La mise en place du CSU à Élancourt (un partenariat public/privé) où des agents se relaient pour regarder les caméras de la ville, ne semble pas non plus apporter les bonnes réponses. Laurent Mucchielli a fait une étude sur une petite ville d’environ 19 000 habitants, et c’est assez édifiant sur l’inutilité de la vidéosurveillance, et l’ennui des agents qui en sont en charge « Il ne se passe jamais rien« .
Le commissariat du futur à Élancourt
Dernière nouveauté en date, le commissariat du futur, qui devrait voir le jour dans quelques mois (12). Pas moins de 350 policiers seront à l’œuvre, avec l’introduction mise en avant de drones. Pour l’instant ce n’est pas autorisé par la loi, mais le débat sur la loi de « Sécurité globale » avance en ce sens. La promesse ? Réduire les temps d’intervention. Si on se base sur les rapports actuels et les projections des spécialistes, les interventions minutes sur détection d’un comportement inhabituel ne sont pas près d’arriver. À part si vous avez une voiture et que vous vous garez mal, vous ne risquez pas grand-chose. On peut aussi ajouter qu’aujourd’hui en 2021, nous devons porter des masques pour ne pas propager les épidémies, pas facile de faire de la reconnaissance faciale (qui est pour le moment interdite en France). Même quand l’épidémie actuelle aura disparu, qui pourra empêcher les personnes de continuer à porter des masques ? Et si les lois de protection de ce genre de données et vidéos changent, qu’adviendra-t-il de nos libertés ? Les différentes tentatives d’introduction des logiciels de reconnaissance des visages en Europe n’ont pas abouti, car d’une part la méthode est trop imprécise, et d’autre part facilement contournable par des personnes spécialisées et averties ! Certaines catégories de personnes ne sont même pas reconnues, et encore une fois le masque sanitaire ne va rien arranger. Les lois actuelles sur la vie privée empêchent les opérateurs publics comme privés de garder les images. La reconnaissance faciale n’est pas autorisée, à moins d’être utilisée dans un cadre personnel et consenti, comme pour déverrouiller son propre téléphone. Les algorithmes existent déjà et sont prêts à être plus largement utilisés.
Il semble que les millions investis par la Mairie dans la sécurité et la vidéo surveillance n’ont pas rendu leurs promesses, et les nouveaux moyens qui vont être mis en place ne permettront pas de résoudre les sources des problèmes, car on traite les conséquences, et non pas les causes. L’idée de simplement réprimer plutôt que de prémunir ne semble pas fonctionner, ni à Élancourt, ni ailleurs, c’est en tout cas ce que semble prouver l’expérience. À quand une remise en question de la mairie et du maire sur ce sujet ?
Références :
(1) Site de la mairie https://elancourt.fr/mon-quotidien/prevention-et-securite/la-police-municipale#ancre-la-vidoprotection
(2) https://elancourt.fr/files/publications/bilan-de-mandat-2019-40.pdf
(3) Chiffres des enregistrements des crimes et délits entre 2012 et 2019 à Elancourt https://crimes.politologue.com/police-78-dcsp-ciat-d-elancourt.uG9-KmjGvnjGSxEx-mPufvjfpx8qEnwx
(4) Data sur les chiffres sur ville-data (2019) : https://ville-data.com/delinquance/yvelines-78-78D?
(5) https://www.infoprotection.fr/genetec-maintient-sa-position-de-leader-sur-le-marche-des-vms/
(6) https://www.genetec.com/fr/solutions-/ressources/umc-utrecht
(7) Sur le livre de Laurent Mucchielli : Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de la vidéosurveillance, Armand Colin). https://www.mediapart.fr/journal/france/100518/la-videosurveillance-ne-sert-presque-rien et https://youtu.be/eN9Hx9udfFM
(8) Un précédent article de Laurent Mucchielli, assez édifiant sur l’inutilité de la vidéosurveillance, et l’ennui des agents qui en sont en charge « Il ne se passe jamais rien ». https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=DS_401_0025&contenu=article
(9) https://actu.fr/ile-de-france/elancourt_78208/les-policiers-municipaux-delancourt-dotes-cameras-pietons_14354877.html et https://elancourt.fr/files/publications/bm-231-janvier-22.pdf, page 6.
(10) La gazette des Yvelines : on teste à Élancourt https://lagazette-sqy.fr/2019/09/24/votreville/elancourt/des-innovations-en-videoprotection-vont-etre-testees-a-elancourt/
(11) Yvelines Numériques ; https://lagazette-sqy.fr/2019/02/12/votreville/yvelines/malgre-quelques-embuches-le-dispositif-departemental-de-videoprotection-est-lance/
(12) https://elancourt.fr/ma-ville/grands-projets#ancre-le-futur-commissariat-dagglomration
Pour aller plus loin, quelques références supplémentaires :
- Rapport de l’observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales 2019 : Victimisation 2018 et perceptions de la sécurité Résultats de l’enquête Cadre de vie et sécurité 2019. https://inhesj.fr/sites/default/files/publications/files/2019-12/RA_ONDRP_2019.pdf
- En ce moment : https://www.mediapart.fr/journal/france/050820/nice-estrosi-profite-du-covid-19-pour-etendre-son-controle-sur-la-population
- Amiens, retour sur un système qui ne sert à presque rien : https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-police-justice/20120926.RUE2700/a-quoi-sert-la-videosurveillance-a-pas-grand-chose-a-amiens.html
- Sur technopolice : https://technopolice.fr/elancourt/
- Sur un autre site (Paris sans surveillance) : http://www.paris-sans-videosurveillance.fr/
- L’offre de concours de la ville d’Élancourt et la société Genetec (Mais il n’y a que les pages 1, 3 et 5, pas d’annexes) https://data.technopolice.fr/fr/document/xfx5jx6z15?page=1